St-Jean-le-Blanc
Retour Libération de la commune en 1944  

Sommaire :
   1 - Récit de la libération, par A. Grandais (La bataille du Calvados, édition 1973).
   2 - Dictionnaire du débarquement
   3 - Cartes de la bataille
   4 - Galerie photos
   5 - Liens à consulter



Partant de Caumont-l'Eventé, l'opération "Bluecoat" est lancée le 30 juillet par le Major Général Dempsey. L'objectif est de repousser l'ennemi vers le sud et de l'encercler avec l'aide des autres armées.
L'avancée est lente jusqu'à Jurques et Ondefontaine.
Le 5 août, la conquête du Mont-Pinçon est confiée à la 43e Division d'Infanterie Wessex, du 30e corps de la 2e armée britannique, commandée par le Major Général Gwilym Ivor Thomas, surnommé « Butcher Thomas ». La décision est prise de lancer l'attaque par le sud.

Voici le récit de Albert Grandais.

Chapitre 24

La 43e D.I. S'EMPARE DU MONT PINÇON

(6-7 août)

[…]

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La 129e Brigade d'Infanterie et les chars du 13/18 Royal Hussars marchent donc vers cet objectif. Le 4e Wiltshire mène l'avance vers le village de St-Jean-le-Blanc. Passant devant le château d'Ecures qui flambe comme une torche, la compagnie du major Robbins avance jusqu'à la Druance pour y trouver le pont détruit et les rives minées. Au-delà, elle essuie le feu des mitrailleuses allemandes et se trouve bientôt aux prises avec une compagnie d'infanterie allemande bien retranchée si bien que le nettoyage du secteur se révèle « lent, couteux et amer ». Une section est bientôt réduite à 7 hommes et son chef, le lieutenant Baldwin, est tué en chargeant contre une position de mitrailleuses. Il faut l'appui d'une troupe de chars pour que cette compagnie parvienne enfin, vers 18 heures, à enlever son objectif, au prix de « huit heures de combat désespéré sous un soleil brûlant ». La bataille fait rage également dans le village où le reste du bataillon est aux prises avec une autre compagnie allemande bien retranchée aussi avec des mitrailleuses. Les positions britanniques et allemandes sont alors si étroitement imbriquées qu'il n'est pas possible d'appuyer les fantassins britanniques avec l'artillerie. En conséquence, le lieutenant-colonel Luce décide de replier son bataillon sur la rive gauche de la Druance. Le Major-General Thomas, commandant de la 43e division, estime quant à lui que Saint-Jean-le-Blanc n'est pas un but en soi et décide d'abandonner l'attaque du mont Pinçon de ce côté-ci. Avant de rejoindre Danvou dans la soirée, le 4e Wiltshire enterrera à Ecures ses 22 tués de ce combat inutile.
A gauche, le 5e Wiltshire livre aussi une dure bataille au pont de la Varinère.
« C'était l'un des jours les plus chauds de 44, déclare le colonel Le Quesne. La poussière était suffocante alors que nous approchions de la plus haute colline de la « Petite Suisse », l'infanterie portée sur les chars. Nous capturons un certain nombre de voitures blindées ennemies et arrivons le soir au carrefour de Chantepie situé immédiatement au nord de Danvou. »
La compagnie du major Thomas avance alors vers le pont situé à 800 mètres de là, sur la Druance. Une section d'infanterie s'empare à gauche de quelques bâtiments de ferme, atteint un petit bois où elle capture deux brancardiers allemands et occupe finalement une position de l'autre côté de la rivière. Deux autres sections la rejoignent bientôt, mais alors que la nuit tombe, cette compagnie se trouve « complètement cernée par les allemands déterminés et fanatiques », à 450 mètres environ au sud du pont. C'est en vain que le major Field a essayé avec sa compagnie de s'emparer de ce passage sur la rivière, chaque assaut étant « repoussé avec 25% de pertes ». Devant cette situation tragique, le major Thomas décide de regagner le P.C. de son bataillon pour y faire un rapport. Sur le trajet, le soldat qui l'accompagne est tué. A 4 heures du matin, l'officier est de retour parmi ses hommes, porteur d'un ordre de repli. La retraite s'effectue d'abord en bon ordre jusqu'aux abords de la rivière où une voix gutturale troue soudain le silence de l'aube naissante :
- Halt !
- Plongeons ! s'écrie instantanément le major.
Mais il n'a pas le temps de le faire lui-même et une rafale de mitrailleuse le tue net.
Aussitôt, c'est la débandade sous les rafales de mitrailleuses qui partent de tous côtés. Bloqué sous le tunnel du pont, un groupe de soldats sera sauvé par une grenade lancée de l'extérieur par un camarade. Une section se retrouvera dans le bois qu'elle occupait la veille au soir mais sous le feu de l'ennemi et « chaque fois qu'un homme se déplaçait, il était touché ». Finalement, 38 survivants seulement de la compagnie D rejoindront leurs lignes.
La position principale du bataillon en arrière était pendant ce temps la cible des obus allemands.
« Le lieutenant-colonel Pearson avait établi son Q.G. dans une dépendance de ferme exposée à la vue de l'ennemi, explique le colonel Le Quesne. C'était un endroit mal choisi à cause des tirs de l'artillerie allemande. Nous y perdons beaucoup de tués et de blessés. Il est impossible de dormir. Nous savons alors que la bataille du lendemain sera sanglante mais le colonel refuse d'évacuer cette maudite maison, ne serait-ce que d'une centaine de mètres. »
Dans la nuit du 5 au 6 août, de nouveaux plans sont dressés. La 129e brigade attaquera cette fois à deux endroits sur deux axes parallèles empruntant les deux ponts voisins de la Varinière à droite et de la Roguerie à gauche, tandis que la 130e brigade exercera un mouvement de diversion au nord, en direction de Roucamps.
Le 6 août, à 13h50, l'artillerie britannique ouvre le feu sur les positions allemandes et, à 14h30, l'infanterie commence à avancer sous une chaleur écrasante. A droite, le 5e Wiltshire est encore pris sous une averse de mortiers, d'obus et de violentes rafales de mitrailleuses. Les Wilts cherchent alors à s'abriter dans le lit même du ruisseau tandis que les chars hésitent à emprunter la route minée.
« A ce moment, raconte le colonel Le Quesne, je me trouve dans ma voiture blindée, dans un petit chemin couvert menant au pont. Avec moi, se trouvent l'adjudant du 5e Wiltshire et d'autres officiers de l'état-major. Le colonel Pearson tient son stick à la main et a accroché une rose rouge à son casque. Son ancien régiment, le South Lancaster s'était battu à Minden en 1759 et, ce jour-là, chaque soldat du régiment portait une rose à son casque. Le bataillon arrive au ruisseau mais là, on ne peut plus avancer à cause des mitrailleuses et des mines. Dans le chemin creux, nous sommes assez abrités des rafales mais pas des obus car nous sommes sous l'observation de l'ennemi qui tient le sommet. Voyant que les obus de nos propres artilleurs ne pouvaient tuer d'ennemis à moins de 5 mètres de nos soldats, je n'ai rien à offrir à ces derniers et les chars ne peuvent se frayer un chemin à cause des mines. »
« - Je n'ai jamais été aussi effrayé de ma vie ! me dit le colonel. Il se met alors à avancer vers le pont, son stick à la main et, à mi-chemin, il est tué d'une balle en plein cœur (l'historique du bataillon dit que le caporal Mackrell tua aussitôt d'une rafale de mitrailleuse le sniper qui était caché dans un arbre). Saisis d'horreur, les hommes se levèrent alors et franchissent le ruisseau tandis que les chars, malgré le danger des mines, traversent le pont. »
« Une autre concentration d'artillerie fut sollicitée sur le village de La Varinière, rapporte de son côté le capitaine Denny du 13/18 Royal Hussars, et quand elle s'abattit, l'attaque continua… et réussit. L'escadron était maintenant disposé à l'est et au nord du village et l'escadron C vint sur notre droite. A ce moment, 40 à 50 Boches qui avaient été dépassés à gauche de la route apparurent et se rendirent. »
« Les officiers rescapés tiennent une petite conférence au carrefour, ajoute le colonel Le Quesne. Au lieu des 500 hommes d'origine, il nous en reste seulement 61, y compris les officiers. L'"Adjutant" qui commande veut alors continuer jusqu'au sommet. Nous nous préparons à avancer. Mais à ce moment, il est grièvement blessé et nous décidons de faire un rapport au Brigadier en lui recommandant qu'il serait prudent de défendre le carrefour et qu'un autre bataillon soit envoyé vers le sommet. Cette suggestion est acceptée. Aussi, nous établissons un petit cercle défensif autour du carrefour. »
Oui, mais quel bataillon envoyer ? A moins de 1000 mètres au nord de La Varinière, le 4e Somerset Light Infantry se bat en ce moment autour du pont de La Rognerie, dans la chaleur étouffante et le fracas continuel des explosions et des crépitements de mitrailleuses. Une section est anéantie, un commandant de compagnie tué en conduisant une charge courageuse sur un nid de mitrailleuse, une parmi combien qu'il est impossible de localiser. Le seul bataillon disponible est le 4e Wiltshire en position de réserve à Danvou mais il lui faudra un délai assez long pour atteindre seulement le carrefour de La Varinière. Le lieutenant-colonel Dunkerly, commandant du 13/18 Royal Hussars, estime pourtant qu'il faut battre le fer quand il est chaud. En conséquence, il donne l'ordre au major Wormald, chef de l'escadron A d'avancer au plus vite vers le sommet.
Aussitôt, deux troupes de Sherman, sous le commandement du capitaine Denny attaquent la montée périlleuse, sans aucun support d'infanterie. Les 7 chars traversent un champ de blé, dépassent un petit bois tout en tirant, s'enhardissent et courent jusqu'à une sorte de carrière où l'un d'eux se renverse. Peu de temps après, un autre char perd une chenille sous un coup direct.
« Alors, explique le capitaine Denny dans l'historique du régiment, la troupe N°2 et moi-même étendîmes un écran de fumée dont la première salve, pour une fois dans une certaine mesure, se retourna de façon tout à fait correcte et souffla très lentement dans la bonne direction, masquant la moitié sud de la position. Le tank du lieutenant Jennison fonça alors jusqu'au sommet de la colline, suivi de très peu par celui du lieutenant Elliot… Vers 18h30, nous avions 7 chars dans une position défensive circulaire sur le sommet. »
« Mes souvenirs les plus précis de l'assaut du mont-Pinçon, nous confie aujourd'hui le major Denny, sont d'abord le fait que les obus fumigènes que nous tirâmes atterrirent exactement à l'endroit voulu, la brise légère poussant la fumée dans la bonne direction et masquant en conséquence avec succès les canons allemands qui couvraient le sommet ; ensuite, que lorsque nous atteignîmes celui-ci, nous trouvâmes à notre grand soulagement que les Allemands regardaient dans la mauvaise direction, le fait qu'ils ignoraient notre arrivée étant dû aussi au brouillard. »
Dans la vallée, près du pont de La Roguerie, les hommes du 4e S.L.I. aperçoivent les chars au moment où un Sherman réussit à traverser la rivière. C'est alors le « tournant décisif » de la bataille. Mais le lieutenant-colonel Lipscomb attendra quand même la tombée de la nuit pour conduire son bataillon vers le sommet, comme il l'explique lui-même :
« Je choisis donc une route conduisant de haie en haie et la matérialise sur une carte car, avec les changements continuels de direction, la boussole ne peut être d'aucune utilité. Après un bombardement préliminaire destiné à garder les Allemands silencieux, je guide les compagnies de tête sur la colline, en formation rapprochée derrière moi. C'est bien la seule attaque que j'aie jamais conduite en personne ! Jusqu'au moment où nous atteignons le sommet, nous marchons en fait à travers les positions des Allemands sans que ceux-ci soupçonnent notre présence. »
De son côté, le 4e Wiltshire qui avait encore enregistré dix tués et 28 blessés dans la matinée à Danvou dépasse à 21 heures les positions du 5e Wilt et, vers minuit, n'ayant rencontré sur son chemin que quelques grenadiers morts ou quelques autres encore hébétés par la canonnade, se hisse à son tour sur le sommet. Dans la nuit, les Allemands essaieront de contre-attaquer. Une formation de 4 chars et d'une soixantaine d'hommes venue du Plessis-Grimoult s'engage vers le carrefour de La Varinière, la seule route d'accès au mont Pinçon, mais elle doit s'arrêter, perdue dans le brouillard, afin de consulter des cartes.
« Pendant cet arrêt, dit le colonel Le Quesne, des obus de ma batterie s'abattent dessus et les Allemands se retirent, laissant deux blessés que nous récupérons le lendemain et à qui je dois cette précision. »
A l'aube du 7 août, les deux bataillons de fantassins ont fait leur jonction sur la hauteur. A 10 heures, appuyés par les chars du Royal Hussars, ils nettoient tout le plateau, détruisant les installations radar et faisant 200 prisonniers. La 130e brigade, de son côté occupe, à l'est, la Pugerie. La victoire du mont Pinçon est complète.
Elle restera l'un des hauts faits de la Bataille du Calvados. Ce n'est pourtant pas sur le sommet qu'il faut en chercher la légende comme certains correspondants de guerre se l'imaginaient. Mais une âpre bataille livrée au pied même de la colline le 6 août, sur les rives de la Druance, à Saint-Jean-le-Blanc, au pont de la Varinière, à celui de la Roguerie. Après cela, il n'y avait plus qu'à pénétrer dans la place avec un peu de chance, un peu de ruse et beaucoup de courage aussi, il est vrai. En vérité, comme l'explique l'historien du 4e Wiltshire Regiment, « le mont Pinçon fut pour nous un jour stérile devant Saint-Jean-le-Blanc, la retraite qui suivit, et ensuite une bataille aussi amère pour atteindre le sommet : non pas tant une bataille contre les Allemands que contre le soleil brûlant, la poussière suffocante des pistes, nos gorges desséchées et nos ventres vides, les pentes escarpées et leurs fourrés enchevêtrés, le sol rocailleux et, par-dessus tout, contre nos corps épuisés. »

[…]

Ensuite, poursuivant leur poussée vers le Noireau, c'est le 10 août que la 43e DI va libérer définitivement Saint-Jean-le-Blanc.


Commentaires concernant le récit ci-dessus :

  • Site Wikipédia des libérateurs : «  Régiment de reconnaissance de la 43e division d'infanterie ».
  • Le nom "Ecures" cité dans le récit et également sur les cartes de l'époque est l'ancien nom du "Escures" actuel.
  • Les défenses allemandes de St-Jean-le-Blanc faisaient partie des divisions d'infanterie 276 et 326.
  • Dans les récits de cette période, le pont de la Varinière est couramment situé sur "la Druance" mais en réalité il est sur "le Roucamps", affluent de la Druance.
  • Illustration :
       . carte de la bataille, extraite de l'ouvrage de A.Grandais.



Une courte définition de la bataille de St-Jean-le-Blanc d'après :
« Dictionnaire du Débarquement », sous la direction de Claude QUETEL, 2011.

Saint-Jean-Ie-Blanc
Village situé au pied du mont Pinçon, point culminant du Calvados avec ses 365 m. Le 30 juillet est déclenchée l'opération Bluecoat, qui permet aux Britanniques de percer le front allemand au sud de Caumont-l’Éventé. La 43rd Wessex Infantry Division a du mal à progresser les premiers jours, mais atteint finalement Jurques et Ondefontaine. Le 5 août, elle reçoit la mission de prendre le mont Pinçon. Son chef, le major general Thomas, décide de contourner la hauteur en passant par Saint-Jean-le-Blanc. Après avoir franchi la Druance, le 4th Wiltshire, accompagné par les chars du 13/18th Royal Hussars, réussit à entrer dans le village après huit heures de violents combats. Mais les Britanniques ne parviennent pas à déboucher et le repli sur Danvou est ordonné. Le mont Pinçon devra être pris par une autre voie.



Cartes de la bataille :



Galerie photos, concernant les libérateurs du Mont Pinçon.

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Escures, route D298, le pont sur la Druance détruit en 1944.   Idem   Danvou, route D26, repli de la 4e Wiltshire après l'attaque du bourg de St-Jean-le-Blanc.   La Varinière, avec le célèbre coquelicot anglais, route D165.

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Route D165 à La Varinière, le pont sur la rivière le Roucamps. Celle-ci sert de limite entre St-Jean-le-Blanc et Danvou.   Chemin rural n°68, de la place royale à St-Jean-le-Blanc (cadastre). Monte au mont Pinçon à partir de la route D165. Utilisé par les chars de la 13/18e.   Lieu-dit "Les Carrières" sur la pente menant au Mont Pinçon. Une des carrières compliquant la montée des chars.  

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Accès au monument, à partir de la route D54.   Sur le mont Pinçon, monument de la 13/18e Royal Hussars inauguré en juillet 1995.   Plaque à la mémoire des soldats du 13/18e. Ce mémorial est unique pour toutes les campagnes de ce régiment.   Plaque à la mémoire des habitants.

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Insigne 43e DI Wessex avec la wyverne (vouivre héraldique du Wessex).   Insigne du 13/18e Royal Hussars.    



Liens à consulter :
   - Histoire du 13/18e Royal Hussars.
   - Album photos du 13/18e Royal Hussars.
   - Fortification et Mémoire, le mont Pinçon, origine et histoire contemporaine.
   - Le mont Pinçon, par Wikipédia.



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